Bag om Souvenirs autobiographiques d'un mangeur d'opium
Et moi, scélérat que je suis, j'ai, comme chacun sait, reçu des fées un charme contre la douleur; si j'ai adopté l'opium, c'est par un penchant abominable pour la recherche aventureuse de la volupté, et j'ai pêché le plaisir dans toute sorte de ruisseaux. Quand je débutai dans la carrière de l'opium, je le fis avec une grande inquiétude; devant mes yeux flottaient les images claires et sombres, selon mes dispositions du moment, des buveurs de brandy, que j'apercevais souvent sur la limite du delirium tremens. Je poursuivais l'opium sous l'influence d'une inexorable nécessité; je le voyais comme une puissance inconnue, mystérieuse, qui me conduisait je ne savais où, comme un être capable de changer soudain d'aspect sur cette route ténébreuse. Je vivais habituellement sous l'impression de terreur que nous avons tous éprouvée, quand on nous racontait les histoires de cerfs, ou prétendus cerfs, qui se faisaient poursuivre par un chasseur à cheval pendant plus d'une lieue, jusqu'à ce qu'ils l'eussent égaré dans les profondeurs d'une forêt sans bornes; alors le retour étant impossible, ils s'évanouissaient tout à coup, laissant l'homme dans une épouvante extrême, ou bien ils prenaient une forme encore plus redoutable. Thomas de Quincey.
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