Bag om Mémoires
En art, nul homme en France n'a été si près de la perfection que Talma. En politique, peu d'hommes ont vu ce qu'il a vu; ami de Chénier, de David, de Danton et de Camille Desmoulins, il a été un des familiers de Napoléon. En littérature, il avait tout lu, tout étudié, tout compris: aussi sa popularité fut-elle grande. Cette popularité, vingt ans ne l'ont pas détruite. Prononcez le nom de Talma dans le salon du faubourg Saint-Germain, ou dans l'atelier du faubourg Saint-Antoine, et ce nom éveillera les mêmes souvenirs, excitera les mêmes sympathies. C'est qu'il avait les qualités que nul autre n'avait offertes avant lui à l'enthousiasme du public, la simplicité et la grandeur, la familiarité et la poésie. Puis il possédait encore au suprême degré l'attraction si puissante de la voix et du visage. Talma en effet avait en lui les qualités qu'il apportait au théâtre. Il était d'un esprit simple quoiqu'étendu; c'était en quelque sorte une étoffe qu'il fallait déplier, étendre et secouer pour en voir les magnifiques broderies. C'était surtout quelque chose de merveilleux que les souvenirs de Talma. Né pendant le dernier quart du dernier siècle, il pouvait relier une époque à une autre. Il avait vu mourir Voltaire, cette torche; passer Chateaubriand, ce flambeau; naître Hugo et Lamartine, ces deux étoiles. Son regard dans le passé plonge jusqu'à la monarchie de Louis XIV. Son regard dans l'avenir s'étend jusqu'à la royauté de Louis-Philippe. Toute grandeur s'est approchée de lui, ou l'a rapproché d'elle. Ses mains ont touché un vrai sceptre, sa tête, porté une vraie couronne, ses épaules, soutenu un vrai manteau impérial. Celui à qui Lekain avait appris à jouer Auguste, apprit à Bonaparte à jouer Napoléon. Seul, peut-être, parmi tous les grands artistes du monde, Talma n'a jamais vu son talent, non seulement s'affaiblir, mais stationner du jour de son début au jour de sa mort. Son génie a grandi incessamment. Le jeune homme qui jouait Séid n'avait pas donné plus d'espérance que n'en réalisait le vieillard qui jouait Charles VI." Alexandre Dumas. Extrait: "J'étais trop jeune, lorsque cinq ans auparavant j'avais quitté Paris, pour avoir visité un spectacle quelconque autre que Polichinelle ou les Ombres-Chinoises; j'étais trop jeune encore pour avoir vu Garrick, qui, à cette époque, portait le sceptre tragique en Angleterre, ou, l'ayant, vu pour m'en souvenir. J'arrivais donc chez M. Verdier pur de toute idée théâtrale, lorsqu'un an après mon entrée dans l'établissement, une grande nouvelle commença d'y circuler. M. Verdier avait composé une tragédie intitulée Tamerlan. Il était question de représenter cette tragédie à la solennité des prix. Les rôles, tout naturellement, devaient être distribués aux élèves. Comme j'étais un des plus jeunes, je n'avais aucun espoir de faire partie de la distribution, et je ne sais pourquoi, à cette idée que je ne jouerais pas dans cet ouvrage, mon coeur se serrait. D'où venait ce serrement de coeur, à moi qui n'avais jamais arrêté mon jeune esprit sur de pareilles pensées ? Aussi ma joie fut grande lorsque j'appris que je faisais partie des élus. J'attendis avec une grande impatience le jour de la distribution, non pas des prix, mais des rôles. Celui qui m'échut en partage était approprié à ma taille et à l'importance de ma position au théâtre. C'était celui d'un simple confident, lequel, après une vingtaine de vers semés dans le cours de la pièce, avait à raconter la mort de son ami, condamné comme Titus par un père inexorable. Le commencement du récit allait passablement, et j'avais déjà été encouragé par quelques applaudissements, lorsque je me pénétrai si profondément de la situation que, me laissant envahir par une douleur réelle, ma voix s'altéra. J'éclatai en sanglots et m'évanouis. Pendant cet évanoui
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