Bag om La morale laïque
" La conception d'une morale naturelle, sans caractère sacerdotal, est née avec le premier éveil de la pensée philosophique. Celui qui le premier a commencé à réfléchir sur le monde et sur lui-même, a réfléchi nécessairement sur le bien et le mal; il a interrogé sa conscience, il a cherché à se rendre compte des devoirs qui lui étaient imposés au nom d'une autorité extérieure. Les plus anciens monuments de la sagesse humaine sont des préceptes ou des principes de morale, conservés par la tradition, recueillis par la poésie, fixés sur la pierre sous la forme de sentences, d'allégories ou d'apologues. Les législations primitives se sont approprié ces principes et ces préceptes; les systèmes philosophiques les ont rassemblés en corps de doctrines; les religions elles-mêmes les ont vus se produire sans jalousie et leur ont donné place dans leurs enseignements. Les religions les plus éclairées acceptent et proclament la distinction de la morale naturelle et de la morale théologique. Si elles se font juges de la première, au nom des lumières supérieures qu'elles s'attribuent, elles n'hésitent pas à lui faire appel, à la prendre en quelque sorte pour arbitre dans leurs querelles avec leurs adversaires. C'est sur le terrain de la morale que la raison et la foi ont toujours eu le moins de peine à se mettre d'accord. Il y a pour tous les hommes d'une même civilisation un fonds d'idées morales universellement respecté, qu'aucune philosophie, aucune législation, aucune religion n'ose contredire ouvertement. Non pas que ce fonds soit immuable: il se modifie avec la civilisation elle-même et un esprit un peu pénétrant saura reconnaître d'assez profondes divergences entre les jugements moraux qui prévalent chez une même nation, à deux époques différentes, ou, à une même époque, chez deux nations inégalement cultivées. L'évolution toutefois est assez lente et assez peu sensible pour ne pas ébranler la croyance à l'immutabilité de la morale et le respect général qui trouve dans cette croyance un de ses principaux fondements. Exerçant leur empire dans un même milieu, subissant plus ou moins les mêmes influences, entraînées à leur insu dans une évolution commune, la morale naturelle et la morale théologique se réunissent le plus souvent dans les mêmes préceptes, et elles ont un égal intérêt à proclamer, parfois même à exagérer leur accord. L'une et l'autre sentent en effet combien importe à leur autorité l'adhésion unanime des consciences..."
Vis mere